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Un monde de (datas) brutes

Avons-nous basculé dans un monde de (datas) brutes ? Les trois premiers articles de cette série ont mis en avant les bonne pratiques en matière de datas, au regard d’exemples tirés de la première crise « data-driven » : la pandémie. Nous consacrons ce quatrième et dernier article aux évolutions sociétales en cours. La société a t’elle vraiment évolué ?

Un nouveau rapport à l’expertise et à l’opinion

Communauté : une nouvelle famille

Les mutations de notre société accélèrent. Internet permet de rejoindre des communautés où les membres partagent nos points de vue et font bloc en cas « d’attaque ». Mais l’entre-soi permanent a aussi des effets pervers et les confrontations d’idées provoquent des réactions de plus en plus violentes.

Depuis quelques années, les divergences sur les réseaux sociaux et IRL provoquent des ruptures de dialogue, voire des ruptures (familiales, sociales, etc.) notamment sur des thèmes clivants : politique, économie, santé, écologie.

Ce n’est plus l’éminence (ou la réputation) de celui qui prend la parole qui compte, ni même la qualité de son propos, mais son éloquence et sa capacité à rassembler.

J’ai été récemment surprise de voir un expert en IA interroger sa communauté à propos d’un article qu’il souhaitait faire, et au sein duquel il voulait nommer les influenceurs IA qu’il n’estime pas assez « experts ». La réaction de sa communauté : « on veut du sang », « on veut du drama : nomme-les ! ».

L’annihilation systématisée ?

Tuer symboliquement ceux qui dérangent. Pour être le premier, pour rassembler, on ne se contente plus de se démarquer par ses propres compétences, on pulvérise l’autre…

Les pratiques de name shaming se propagent. Nous avions évoqué les « mouvements hashtag » dans notre étude Nouveau Monde, Nouvelle Marque. La prise de conscience à grande échelle doit-elle nécessairement faire des exemples à hauteur de l’individu ? Les dérives possibles du name shaming sont nombreuses, notamment avant que la justice ne rende ses conclusions. Les atteintes à la réputation se multiplient et se banalisent.

Les entreprises sont d’ores et déjà concernées par ces pratiques. De nombreux exemples existent et pointent des « défaillances », des pratiques commerciales douteuses ou trompeuses, voire des irrégularités : emploi d’enfants, process de production polluants (délocalisation, manque d’initiatives durables et responsables, …), management inhumain, conduisant au suicide / burn-out de salariés, greenwashing, politique de gestion des données (vente ou piratage des données), imposition, situation de monopole, etc. Les scandales se multiplient. Plus que jamais, les entreprises doivent être vigilantes et responsables. Le marketing ne suffit plus : le public demande des preuves et des engagements.

L’expertise ne fait plus autorité

Les évolutions sociétales et économiques ont également permis à de nouveaux modèles d’émerger. Les phénomènes de spéculation portent aussi sur l’image des entreprises et/ou des individus. Les réputations se font et de défont en temps réel ou presque. Durant la pandémie, nous avons assisté à « l’assassinat » de personnalités considérées comme expertes dans leur domaine (via leur parcours professionnel, comme certains Nobels). À l’inverse, la pandémie a permis l’émergence d’experts inconnus du grand public.
Un point important : de nombreux experts ont été évalués, en partie, sur leur capacité à interpréter la data et à anticiper.

Des valeurs qui mutent ?

La communauté des « ouins ouins »

Depuis le début de la pandémie en France, une expression s’est répandue : « ouin, ouin ». Le clan des chouineurs. Utilisée depuis longtemps sur les forums ou sur Twitter, elle désigne une victimisation ou pointe un manque de force de caractère. L’expression a largement été utilisée lors de la pandémie pour désigner les opposants au pass sanitaire.

Il est instructif d’analyser l’évolution des mentalités et des rapports aux valeurs constitutives de la société et de leur basculement. Le fameux « OK boomer ! » illustre aussi ce décalage de vision et de valeurs entre communautés ou groupes de personnes.

Une absence d’empathie

Dans des sociétés ultra compétitives, sur des territoires livrés à une « guerre économique » constante, certaines valeurs ont évolué au cours des dernières décennies. Les rapports à la vérité, à l’éthique, à l’acceptable d’une partie de la société se transforment. Les approches plus brutales et moins respectueuses des autres émergent. Les rapports de force sont-ils en passe de devenir la norme ?

On se souvient, par exemple, de Martin Shkreli, désigné « l’homme le plus détesté d’Amérique » qui a racheté un laboratoire puis augmenté de 5400% le prix d’un médicament nécessaire aux malades du sida (750$ / comprimé !). Un manque d’empathie qui lui a valu de comparaître devant de Congrès et d’afficher pourtant une arrogance qui dépasse l’entendement :

Martin Shkreli lors de son passage devant le Congrès

Où sont passées notre empathie et notre humanité ?

Notre empathie a t’elle disparu ou s’est-elle exacerbée ? Les indicateurs montreraient que nous sommes pourtant de plus en plus sensibles au sort de l’autre. La violence et l’absence d’empathie, l’assassinat symbolique (seul ou en groupes) pourraient laisser croire que c’est tout l’inverse qui se produit… Alors, qu’en est-il vraiment ?

Le compte-rendu de l’Acte de Printemps de la prospective, 2014, diffusé par La Société Française de Prospective est extrêmement intéressant pour comprendre l’ensemble des phénomènes liés à l’empathie. Ce document, qui balaye la notion d’empathie au coeur d’un monde en transition, nous explique que l’empathie est à double-face ; plus on développe notre empathie, plus l’effet de rejet, en groupe, peut être violent.
Cette analyse, menée sous différents prismes (social, économique, politique, …) met en avant les risques et les opportunités d’une société en mutation. Nous serions au coeur de la tempête, basculant d’un monde à l’autre… d’une approche capitaliste sans empathie à une société cognitive, altruiste, collaborative et empathique.

La data dans une société cognitive

La 3ème voie : une société cognitive ?

La société cognitive est une société plus éclairée, qui comprend des phénomènes complexes et dispose d’un savoir élargi. Le modèle du donut, ou système coronal (avec un plancher social et un plafond environnemental), que nous avons largement évoqué dans notre étude Data Marketing, s’intègre pleinement dans une société cognitive, telle que décrite ci-dessous.

Cette société cognitive, plutôt sensible à la science, serait en mesure de comprendre les enjeux et les objectifs qui se cachent derrière les discours. La data y aurait donc un rôle central. Nous devrions cependant revoir certains curseurs en matière d’utilisation, de contextualisation et d’éthique.

Si nous évoluons vers une société cognitive, une chose est sûre : nous n’y sommes pas encore ! La pandémie ne cesse de mettre en évidence des confusions entre information, opinion et formation. Cette confusion, au-delà des tensions entre les individus, permet certains abus et des manipulations.

Manipulations data-driven ?

La pandémie, première crise data-driven, a-t-elle mis en lumière certaines manipulations ? Nous l’avons vu dans l’article Bonnes pratiques en Data Marketing, « on peut débattre de tout sauf des chiffres ». Si l’affirmation se vérifie dans certains cas, encore faut-il avoir une lecture claire de la donnée et être en capacité d’identifier d’éventuels données exogènes pouvant mettre en péril l’analyse effectuée. Comment comparer les stratégies de chaque pays en se contentant de confronter certaines données ? La data nous apporte une première lecture, encore faut-il comparer des éléments comparables. Les décisions politiques, annoncées comme guidées par des données sanitaires, sont parfois décriées. Nous l’avons évoqué, utiliser la data comme élément d’autorité peut s’avérer risqué dans certains contextes. Les politiques sont-ils maladroits avec l’utilisation de la data ?

Le document de la Société Française de Prospective cité plus haut alertait justement des dangers politiques d’une société en mutation ; si les politiques ne saisissaient pas les enjeux de la transition, les citoyens souhaiteraient prendre la main sur leur destin et sur le politique…

La fin d’un système politique « à la papa » ?

Notre monde se transforme si vite que les plus « forts » s’adaptent, à l’instar des GAFAM, nées du digital. Agiles, inventives, elles sont devenues gigantesques et ont montré au cours des dernières années leur capacité à défier les États et les autres puissances.

À l’inverse, certains secteurs ou organisations semblent « dépassés », voire désuets. Les États et Autorités de régulation ont d’ailleurs été questionnés (voire remis en question) en raison de leur incapacité à gérer les défis actuels. Pire, ces défaillances sont pointées pour de nombreux secteurs : santé, industrie, sécurité, urbanisme, éducation…

N’assistons-nous pas à la faillite du système Occidental ? Encore ancré dans une vision d’après-guerre, ce système ne colle plus aux attentes du XXIème siècle.
Comment, dans un monde qui tend vers le temps réel et qui demande de l’agilité, les États et les puissances politiques pourront-ils faire autorité sans de profondes réformes structurelles ?

Et demain, la data ?

La data a sa place dans nos sociétés, et encore plus dans une société cognitive. Nous manquons d’éducation face à la data et nous sommes face à des situations nouvelles (une pandémie data-driven).

Si aucune limite éthique ou intellectuelle n’a émergé à ce stade, il nous reste à définir les usages acceptables ou non : type de données collectées, contexte d’utilisation des données, éthique des données collectées, pertinence des modèles, droits ou interdictions accordés à partir de données, etc.
Sur un plan environnemental, nous devrons aussi évaluer les ressources / énergie nécessaires pour le stockage et l’exploitation de données massives. Est-ce raisonnable de tout mesurer, tout le temps ? Quels seront les marqueurs essentiels à suivre pour piloter une entreprise, un État, une ville en accord avec les usages acceptables ?

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